La grotte de Crvena Stijena est localisée à proximité du village de Petrovici, non loin de la frontière séparant le Monténégro de la Bosnie-Herzégovine. Situé à une altitude modérée (800m), le gisement domine un lac artificiel créé par le barrage de la rivière Trebišnjica.
L’aire de fouilles à Crvena Stijena
Découvert en 1954, le gisement présente une séquence stratigraphique exceptionnelle s’étalant chronologiquement depuis le Paléolithique moyen jusqu’à l’Âge du Bronze. La fouille a livré de nombreux restes fauniques et outils lithiques répartis au sein de 31 niveaux distincts. Après une longue pause, les fouilles ont repris sur le site en 2005 sous la direction de Mile Bakovic (Centar za konzervaciju i arheologiju Crne Gore, Montenegro) et de Robert Whallon (University of Michigan). Plus récemment, une équipe pluri-disciplinaire de chercheurs dirigée par Gilbert Tostevin (University of Minnesota) a pris le relai. Les fouilles sont toujours en cours.
La séquence stratigraphique à Crvena Stijena (Morin et Soulier 2017)
Recherches actuelles
Objectifs
Trois objectifs de recherches guident nos travaux à Crvena Stijena. Ces objectifs visent à:
- Établir une chronologie robuste des occupations et à améliorer notre compréhension des contextes paléo-environnementaux;
- Identifier la ou les fonctions du site
- Déterminer si les stratégies de subsistance des Néandertaliens incluait ou non des méthodes de préservation des aliments (séchage et fumage des viandes)
Chronologie et paléo-environnements
Une particularité frappante à Crvena Stijena est la constance de la représentation du cerf élaphe (Cervus elaphus), espèce qui reste abondante tout au long de la séquence d’occupation. Cette continuité dans la composition des espèces d’herbivores suggère des conditions environnementales relativement stables dans les Balkans au cours du Pléistocène supérieur (entre 130,000 et 10,000 ans avant aujourd’hui). Les données révèlent également une consommation systématique de la moelle des os, ce qui indique possiblement l’existence de stress alimentaires saisonniers ou, à tout le moins, une forte préoccupation pour l’obtention de gras.
En plus du cerf élaphe, la faune inclut le bouquetin des Alpes (Capra ibex) et/ou le bouquetin du Caucase (Capra caucasica), deux espèces difficiles à différencier sur la base de fragments osseux. Le daim et la marmotte ont aussi été identifiés. L'analyse de la faune indique une occupation durant l’hiver, le printemps et l’été. La présence de restes de très jeunes sujets (os de fœtus) suggère que le site était situé à proximité des aires de vêlage (mise bas) de plusieurs espèces d’herbivores.
L’analyse de la séquence montre que l’occupation a varié en intensité au cours du temps. Les occupations les plus récentes semblent avoir été plus épisodiques que celles documentées à la base de la séquence. Au sein du niveau XXIV par exemple, la présence de plusieurs zones de combustion, la fréquence élevée d’os carbonisés et l’absence de restes de carnivores (ces derniers fréquentent souvent les grottes quand elles sont inoccupées) suggèrent une forte intensité d’occupation par les Néandertaliens.
La fonction du site
À Crvena Stijena, les niveaux datés du Paléolithique moyen montrent une abondance de restes de faune tandis que les outils en pierre sont rares. De manière générale, les occupants du site semblent avoir privilégié la chasse au gros gibier. Les carnivores sont rares à Crvena Stijena, ce qui inclut la hyène des cavernes, une espèce communément observée dans les grottes du Paléolithique moyen. Cette faible représentation suggère que les carnivores n’étaient pas des occupants réguliers du site. Ils semblent toutefois avoir joué un rôle plus conséquent dans l’accumulation des carcasses de bouquetin des Alpes comme le suggère les nombreuses traces de rognage identifiées sur les os attribués à cette espèce.
Les nouvelles fouilles ont permis de faire quelques découvertes particulièrement intéressantes. Par exemple, des marques de découpe ont été observées sur des os d’ours et de marmotte. Ce fait est remarquable car ces espèces semblent avoir été rarement exploitées par les Néandertaliens au Paléolithique moyen.
Séchage de la viande et préservation de la nourriture
À Crvena Stijena, les restes d’animaux présentent régulièrement des marques diagnostiques d’une activité humaine:
- Traces de découpe (traces laissées sur les os lors du dépeçage à l’aide d’un outil tranchant en pierre) : ces traces affectent toutes les espèces communes dans le gisement et sont particulièrement nombreuses sur le cerf élaphe.
- Quand elles sont comparées aux données récoltées en contexte ethnographique (observations portant sur des populations de chasseurs-cueilleurs actuels) et expérimental (expériences visant à reproduire les gestes), l’orientation et la longueur des traces de découpe observées à Crvena Stijena sont compatibles avec des activités de séchage et de fumage de la viande.
- Os brûlés : les os brûlés sont fréquents à Crvena Stijena, en particulier dans le niveau XXIV, ce qui implique des activités humaines récurrentes.
- Extraction de la moelle : cette pratique semble avoir été quasi systématique à Crvena Stijena; elle est attestée par de nombreuses marques de percussion sur les os. Ces derniers ont probablement été fracturés à l’aide de galets.
Exemples de traces de découpe (Morin et Soulier 2017)
Lors des anciennes fouilles, plusieurs grandes zones de combustion ont été observées dans les différents niveaux du site. Ces structures sont nettement plus grandes que les petits feux de camp utilisés de nos jours par les chasseurs. Toutefois, la fonction de ces grandes structures de combustion demeure indéterminée. Une hypothèse suggère que ces structures aient été destinées au séchage et/ou fumage de la viande et visaient à conserver de grandes quantités de nourriture. Malheureusement, les fouilles actuelles n’ont pas encore atteint les couches où ces zones de combustions furent documentées. Même si l’analyse des marques de découpes s’accorde bien avec l’hypothèse d’une conservation de la viande, les données actuelles ne permettent pas de confirmer cette proposition avec certitude.